L'idée de faire connaître le travail de Li Zhensheng sur la Révolution culturelle est née il y a quinze ans à Pékin. En mars 1988, Li expose pour la première fois vingt photos, extraites des négatifs négatifs, ces images considérées comme contre-révolutionnaires sous Mao Zedong, lors d'un concours de photographie organisé par l'Association de la presse chinoise. L'impact de cette exposition "Laissons l'Histoire instruire le futur", qui comprenait des tirages de l'ancien gouverneur de la province du Heilongjiang, la tête sauvagement rasée par les gardes rouges, est considérable. Pour la première fois, les journaux contrôlés par le parti communiste et l'Etat chinois admettent l'horreur et se déclarent "choqués".

En décembre de la même année, Li rencontre Robert Pledge directeur de l'agence internationale de photojournalisme Contact Press Images, de passage à Pékin à l'occasion de la tenue de trois expositions simultanées qu'il a réalisés dont "Contact : le photojournalisme depuis le Viet-nâm." Durant dix jours, plus de dix mille visiteurs vont quotidiennement se rendre au musée national d'Histoire, place Tienanmen. C'est le premier événement de ce genre en Chine. Li Zhensheng et Robert Pledge décident de travailler ensemble à la propagation des photographies de la Révolution culturelle au-delà des frontières. Il faut cependant un climat politique favorable. Les événéments tragiques de la place Tienanmen en juin 1989, quelques mois plus tard, viennent anéantir la démocratie naissante. Et donc tout espoir de rendre public le travail de Li.

Il faudra attendre encore dix ans pour que le projet soit relancé notamment grâce à un intermédiaire très particulier, Jiang Rong, le traducteur qui avait permis le dialogue entre Li et Robert Pledge et qui travaillait maintenant comme interprète près des Nations Unies à New York. Un autre lien allait faciliter les choses : Wang Gang (Peter Wang), à l'origine de la tournée des trois expositions en Chine, est également installé à New York ou il vient de fonder sa propre entreprise d'imagerie numérique. De son côté Li se rend régulièrement aux Etats-Unis pour visiter ses deux enfants qui ont obtenu des bourses d'études dans le pays. Les meilleures conditions sont réunies et au cours de l'année 1999, le projet prend corps.

Non sans difficultés : il faut amener à New York les négatifs, notamment ceux que Li a si soigneusement conservés de son travail au Quotidien du Heilongjiang et cachés des années sous le plancher de son appartement durant la tourmente de la Révolution Culturelle. Ces précieux documents arrivent aux bureaux de Contact à New York par petits lots d'enveloppes marron, contenant chacune un négatif. Trente-mille de ces enveloppes subiront les examens répétés de Robert Pledge en vue d'un editing affiné. Durant quatre ans, d'innombrables week ends vont être consacrés à créer des passerelles entre le chinois, l'anglais et le français par un "groupe de travail" de choc composé de Li Zhensheng, Robert Pledge, l'écrivain Jacques Menasche et l'interprète Jiang Rong secondé plus tard par Li Xiaobing, la fille de Li. Des centaines d'heures de travail verront Li, Jiang et Menasche plongés dans des échanges animés pour étayer les informations, pendant que Pledge et Li Xiaobing passent en revue les négatifs, les tirages, et des vieux numéros du Quotidien du Heilongjiang, déchiffrant les calligraphies des banderoles ou des pancartes. Une ambiance révolutionnaire régne alors dans les locaux, créée par des statuettes et effigies de Mao, les appareils photo de Li, des livres ou de la musique chinoise, Li lui-même n'hésitant pas à entonner des chants "rouges" de l'époque.

Au fil des années, ce petit groupe grandit. A New York Peter Wang est en charge du scan des tirages, parfois assisté du fils de Li, Li Xiaohan sous la responsabilité de Tim Mapp de Contact à New York; à Paris Gabriel Bauret, ainsi que Dominique Deschavanne et Franck Séguin du bureau de Contact Paris supervisent l'édition française du livre ainsi que la production de l'exposition en liaison avec Michaël Houlette a l'hotel de Sully. Des deux côtés de l'Atlantique les équipes actives des éditions Phaidon interviennent, notamment Julia Hasting pour la maquette, les éditrices Valérie Vago-Laurer et Karen Stein, l'éditeur Amanda Renshaw et Richard Schlagman leur "patron".

Après une longue gestation et des préparatifs rigoureux, le projet de Li et Contact Press Images voit enfin le jour en juin 2003: l'exposition coproduite avec Patrimoine Photographique, "Un photographe chinois dans la Révolution culturelle" ouvre en même temps que paraît Le petit livre rouge d'un photographe chinois.

2003 © Contact Press Images